Unis pour le meilleur et pour le pire

Le mariage entre Religion et Etat fut célébré à l’église comme il se doit. Religion prit le voile en même temps qu’on lui passait au doigt l’anneau nuptial.
Quelque temps après cette extraordinaire cérémonie, tous se posaient la question : comment le couple allait-il ? Pas facile de le savoir : c’était un secret d’Etat. Quant à Religion, elle parlait de son mariage en termes voilés. Mais des proches du gouvernement affirmaient qu’Etat ne se voilait pas la face devant certains agissements de sa femme - agissements qu’il considérait comme pas très catholiques. Il décrèta qu’au cas où sa femme le tromperait, il en ferait une affaire personnelle, c’est-à-dire une affaire d’Etat. Déjà, il ne savait plus très bien où il en était !

Il avertit Religion qu’en ce cas, il aurait droit d’ingérence. L’épouse accueillit ces propos avec une philosophie toute libérale : “Laisser passer, laisser faire, laisser agir”, songeait-elle, se remémorant la petite phrase lancée par un humoriste à ce sujet : “Jésus crie et la caravane passe !”
La vérité est que ce n’était pas un mariage platonique ! Ça, c’était pour la petite mythologie inventée par les journaux à sensation. (Paradoxale, cette appellation, en l’occurrence). Etat était magnétisé par Religion, par son aura - et il n’en était pas à prendre cette aura pour une auréole ! C’était avec un plaisir sans mélange qu’il entrait en Religion. Cette dernière se félicitait que son mari n’ait pas le culte de la raison. Bien sûr, beaucoup chuchotaient que c’était un mariage de raison d’Etat - et de stigmatiser ces manigances : “Encore un coup d’Etat !”.
Mais la presse à sensation ne lâchait pas le morceau : de Religion, elle allait faire une légende. Or tant qu’elle parlait légende, Religion parlait parabole. Ce n’était pas tout à fait la même chose ! Allez donc rendre une parabole médiatique ! Les journalistes étaient d’autant plus frustrés que pour eux, théoriquement, ce couple, c’était du pain béni : si l’épouse était trompée, on en ferait une sainte ; si elle s’avisait de jouer les Marie-Madeleine (avant le repentir) et se retrouvait face à de lapidaires accusateurs, eh bien, cela promettait des rebondissements : des accusations la cernant, Religion se ferait une auréole, quant au tribunal lapidaire, il lui ferait revivre sa Passion. Bref, les médias avaient ces deux-là en odeur de sainteté. Mais le mari comprit par là qu’ils flairaient déjà la sainte, la femme bafouée, trompée, trahie. Le gouvernement censura la presse pour trahison d’Etat. Il faut dire qu’Etat devenait fanatique. Au gouvernement, on ne tarda pas à lui reprocher ce qu’on appelait sa confusion entre vie professionnelle et vie privée. Etat, le fanatique, allégua que son épouse était devenue un tyran (domestique). Le torchon brûlait. Les médias écrivirent que le Saint-Suaire brûlait, mais c’est à peine s’ils en eurent le temps, car Etat les livra au bûcher des vanités.
Ces temps troubles rappelaient étrangement la période de l’Inquisition… D’ailleurs, ce tribunal religieux, institué par la papauté, se manifesta au 18ème siècle en Espagne sous une forme politique… On parlait indifféremment d’hérésie ou de remaniement ministériel, les deux termes étant strictement synonymes : un hérétique n’était-il pas un ministre remanié ? “Manipulé !”, rétorquaient en choeur journalistes et écrivains. Mais ils pouvaient tout aussi bien faire une croix sur leurs mots car Religion, l’épouse d’Etat, veillait… Pour elle, remplir son devoir conjugal, c’était sacré. Les fidèles devaient se faire une raison (d’Etat). Voilà que Religion, elle aussi, télescopait vie privée et vie professionnelle, faisant ainsi, à son tour, de nombreuses victimes. Mais ainsi prêchait-elle, inlassablement. “ - Pour sa chapelle !”, rétorquaient ceux-là même, journalistes et écrivains, sur lesquels Religion avait fait une croix. On les appelait “Les Croisés” dans les chansons populaires. C’était vraiment le Moyen-Âge ! Et tandis qu'Etat et Religion buvaient mutuellement leurs paroles, la population trinquait ! C’était sans doute dans le but de perpétuer le souvenir de ces mémorables noces que la vie quotidienne devait se dérouler ainsi.
Alors les Croisés tinrent conseil. Ils se dirent que pour conjurer les liens sacrés du mariage, on pouvait toujours divorcer (c’étaient des Croisés d’avant-garde !). Mais pour conjurer les liens politiques du mariage, il fallait une nouvelle conjuration. Ils partirent donc en guerre mais là encore, une autre embûche les attendait : ils ne faisaient pas l’unanimité, loin de là ! Les sceptiques ne manquaient pas : “ - Ouais, c’est encore une guerre de Religion !”, dirent ceux qui ne voulaient pas s’en laisser conter. C’étaient les mêmes qui avaient dit, auparavant : “ - Encore un coup d’Etat !”. Les croisés organisèrent une nouvelle table ronde pour se dire que ces sceptiques n’étaient que d’opportunistes caméléons : ni chair, ni poisson - tout comme ce mariage, en somme. Ces croisés d’avant-garde n’avaient jamais confondu remaniement ministériel et hérésie, pas plus qu’ils ne confondaient à présent divorce et conjuration. Mais d’autres n’y voyaient que du feu (cf. Le bûcher des vanités) et restaient dans leur badauderie, tandis que nos croisés d’avant-garde, eux, allaient au feu. Spectateurs et acteurs. Ce mariage commence à nous faire un théâtre dans le théâtre. Drôle de perspective… Comment savoir qui est qui ? Avec Etat qui a la religion du pouvoir et avec son épouse lancée dans une chasse aux sorcières, allez savoir ! “ - C’est à y perdre son latin !” ; “ - Dieu reconnaîtra les siens !”, commentait-on la situation. Et Religion de prêcher inlassablement : “ - Donnez à Etat ! Dieu vous le rendra !”. La population traduisait par : “ - Donnez à Dieu ! Etat vous le fera payer !”. A ces mots, les fidèles décidèrent d’entrer dans la clandestinité : il devenait dangereux d’aller à la messe, de prier en public, d’afficher sa foi au sein d’une communauté. Voyant s’approcher Le Jugement Dernier d’Etat, ils devinrent des clandestins de la prière. Au lieu de prier pour que le Jugement Dernier s’éloigne ! Certains fidèles, décidant de porter leur croix tout au long de ce calvaire, tombèrent à plusieurs reprises. A chacune de leur chute, ils faisaient une croix sur leur calvaire ! Au vu de ce dernier évènement, les deux époux réagirent différemment : Etat s’en lavait les mains, tandis que Religion, hystérique, revivait la Passion… à sa manière ! Car dans son hystérie, elle criait à Etat : “ - Livre-les moi, ces gens qui font une croix sur leur calvaire !”. A elle toute seule, elle vous campait un de ces publics ! Féroce ! A cet instant, elle eut un vague malaise, comme quelqu’un qui se trouve à côté de ses pompes, comme on dit, peut en avoir un . C’est que ces gens, elle était sur le point de les martyriser. Elle s’était bêtement laissé emporter par la passion du public assistant au jugement du Christ par Ponce-Pilate. Elle s’était trompé de Passion !
Depuis, on raconte que la diablesse s’est fait ermite et qu’elle prêche (dans le désert, d’ailleurs), qu’elle prêche inlassablement, insolite Saint Jean-Baptiste. Ce qu’elle dit ? “ - Donnez-vous à Etat ! Dieu vous le fera payer !”

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