Pilier de bar

Un jardin au feuillage dionysiaque jonché de statues apolloniennes. Les canons de la beauté classique et les couleurs mûries des vignobles, arbres et marbres réunis. Une statue très académique de Dionysos est là ; derrière elle, des vignes espiègles ont dû grimper aux arbres, donnant aux châtaigners et aux platanes leurs couleurs d’été de la Saint-Martin. Des grappes vert tendre et lie-de-vin aux branches des arbres à un bras tout juste au-dessus de cette statue apollonienne de Dionysos.

Le promeneur est apaisé et stimulé à la fois. Pas de doute, il est sur le sentier des vendanges. C’est un sentier qui n’est ni tout à fait organique, ni tout à fait symbolique. Car affirmer le contraire, ce serait comme si on disait que la pierre est lumière ou que la lumière est de marbre. On l’aura compris, cette promenade est très simple ! C’est-à-dire que transparence et opacité sont à chances, à hasards égaux. Se mêlent, se démêlent, s’emmêlent aussi simplement que deux amoureux, chemin faisant, se donnent la main. Le temps qui teint les châtaigners sait aussi travailler, petit ou grand sculpteur clandestin, la pierre ou le marbre. C’est troublant, c’est-à-dire inquiétant et rassurant à la fois, de voir que nature et sculpture suivent la même loi. Et donnent au promeneur la fibre du lieu.Puis comme en refrain : sculpture, nature - . Quand le vin est tiré, il faut le boire. La lumière d’automne est la mémoire paradoxale de ce lieu aux vendanges tardives. Non seulement elle n’est pas pour rien dans la fraîcheur de ce vin, mais encore : que serait-il, ce vin, sans une mémoire dont le réceptacle un peu (très!) figé, assez (trop!) solennel, sans doute suranné est ici une statue apollonienne de Dionysos. À trop se pencher sur la statue, le promeneur a l’idée qu’il se ferait le perroquet de celle-ci, repassant en couleurs criardes les lettres du mythe. Il perdrait son regard. Mais il se pourrait aussi que son regard le perde s’il se lançait à corps perdu dans l’enivrante contemplation de ces feuilles d’automne, buvant du regard, jusqu’à la lie, tout ce que la marche du temps (vous vous rappelez, celui qui est grimpé aux arbres ?) a pu mûrir aux branches de ceux-ci. Non, c’est bien plus simple : le rythme de la marche fait pas à pas les vendanges du sang du promeneur car il y a là, dans ce sang, quelques gouttes qui se souviennent, inépuisablement, de Dionysos et savent la tâche à accomplir : quand le vin est tiré, il faut le boire - pour que sang et vin se promènent en bonne intelligence dans ce jardin. Oui, mais tout ça, c’est du mythe. Vous croyez ? Vous croyez vraiment que l’histoire n’a rien à faire ici ? Eh bien, regardez au pied de cet arbre, là, derrière, oui, tout près de ce buisson : un homme encore jeune, sûrement mis au ban de la société bien plus par celle-ci que lui ne l’a mis au ban, elle. Alors, que fait-il ? Eh oui, il boit. En cachette. Une bouteille de gros rouge. Pas beaucoup de lumière pour faire ce vin, d’ailleurs il n’y a qu’à tenir la bouteille bien au jour pour s’en rendre compte. Et on a du mal à imaginer Dionysos se saoûlant en ingurgitant de ce pique-rate. Oui, décidément, ces statues un peu vieillottes, un peu trop classiques (classiques à crever, diraient certains) ont un charme bien à elles dans ce jardin d’automne. Bien à elles ? On dirait des cariatides - ces statues de temps immémoriaux, obscurs, de celles qui ont ce côté sage qui nous agace - au pied de ces invraissemblables et impossibles feuillages. Vous savez, ceux couleur lie-de-vin (vin jusqu’à la lie).

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