Petit conte du mode hypothétique

“Je veux que vous viendriez” est l’équivalent grammatical de “Je veux que vous soyez heureux” - en langue étrangère à la vie. “Si j’aurais su, j’aurais pas venu” est un équivalent possible de ceci - en langue vivante étrangère à la grammaire. Attention ! Ceci n’est pas du baroque ! Le baroque, c’est l’heureux mariage des contraires. Ici, c’est leur divorce. Pénible divorce que celui de la langue étrangère à la vie et de la langue vivante étrangère à la grammaire. Alors, où se cache-t-il, ce fil baroque, celui qui relierait les deux ? Je relis. Relisez, vous aussi. Bon, nous sommes bien d’accord, n’est-ce-pas ? Là-dedans, pas beaucoup de vie.Si (…) alors : écriture du possible ou flirt ? Flirt, c’est-à-dire : le “Si j’aurais su” flirte avec la grammaire et le “Je veux que vous viendriez” flirte avec la vie. Les deux sont sur le mode de l’irréalisable. A tous les temps, ce mode n’existe pas. Donc, ne relisons pas. Vous dites ? C’est à en attraper le fou-rire ?

Voilà qui est intéressant : un moyen de sublimer et donc d’échapper au flirt. Là, le possible devient vraiment expression d’une volonté. Mais le fou-rire, c’est aussi un garde-fou (et si on en abuse, c’est fou tout court). Un garde-fou, un moyen de se résigner. Non que le fou-rire soit hors-vie - il est loin d’être si fou que ça ! Simplement, il reconnaît la place qu’a le possible dans la vie. C’est donc de l’hypothétique relativement à l’indicatif, et non un mode de relation exclusive entre les deux (hypothétique et indicatif) - relation du genre : “Si ce n’est toi, c’est donc ton frère”. On sait bien ce qu’il advint de cette histoire-là : le loup tua l’agneau. “Si l’agneau aurait pu se désaltérer en paix” n’équivaut pas à : “Je veux que le loup vienne”. Il ne s’agit pas des noces du loup et de l’agneau ! Bon, vous voyez que nous avançons, même très lentement : nous avons réglé son compte à l’équivalence grammaticale du début de cette histoire. Nous ? Mais au fait, me suivez-vous ? Ou bien en êtes- vous au “Si j’aurais su, j’aurais pas venu” du début ? Si oui, attantion : vous allez, pauvre agneau, vous jeter dans la geule du loup (de la grammaire). Ce serait le comble pour un linguiste ! Mais pourquoi écrire cela : simplement pour tenter d’éviter à la vie une toute petite mort de plus et, quoi qu’il en soit, quitter résolument le “Je veux que vous viendriez” et toutes les petites morts qui vont avec. Où est l’amour, là-dedans ? De quel côté penche la balance amoureuse ? Du côté de l’indicatif “Je veux” ? Du côté de l’hypothétique “Vous viendriez” ? Le coeur balance-t-il entre les deux ? Attention à ne pas trop se pencher sur cette balance : les deux plateaux sont des miroirs aux alouettes à vous en plumer le coeur : on se le pique si vite à l’aiguille de la balance, ce coeur. On peut prononcer “hypothétique” d’un ton résolu, presque agressif. On peut dire qu’hypothétique et indicatif ne doivent pas désespérer l’un de l’autre. Remarquez, ce serait déjà ça ! Ne plus avoir à changer d’indicatif pour obtenir l’hypothétique ! Ça vaut toujours mieux que le ton vain, pardon, vindicatif. Bien sûr, c’est de le dire qui ne le fait pas arriver : à force d’incanter son souhait présent à la mode de l’hypothétique (les “Si j’étais” et autres “Si j’avais”), on finit par tomber, mine de rien (grammaticalement, bien sûr !) dans l’irréel, c’est-à-dire le souhait passé de mode (les “Si j’avais été” et autres “Si j’avais eu”). Prenons le cas de figure d’un hypothétique combat entre… l’hypothétique poids-plume (ah, la plume du rêve) et l’irréel-poids-de-plomb (ah, le plomb des regrets). Ce peut être le Godot de Beckett : est-ce de l’hypothétique ou de l’irréel ? Qu’est-ce qui pèse le plus lourd ? Un kg. de plumes ou un kg. de plomb ? Ce sera aussi difficile de plumer le poids-de-plomb que de plomber les ailes du poids-plume. Jolie figure que celle-là, vous serez peut-être d’accord avec moi, mais… là encore, aucun doute, n’est-ce-pas : ce n’est pas la vie…Il en est qui veulent mourir à Venise, d’autres qui n’envisageraient pour rien au monde de vivre ailleurs qu’à Venise. Je fais partie de ceux qui veulent vivre par-dessus tout - quitte à ce que ce ne soit pas à Venise.

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