Petit conte du milieu qui n'en finit pas de commencer

Prenez un début, une fin. Placez-vous entre les deux. Avancez. Bon, vous voyez, cette sorte de milieu vous suit, que vous vous dirigiez vers le début ou vers la fin. Une autre personne vous a suivi. A fait la même chose. Mais ce sur-place essoufflant - ce Milieu qui vous suit comme une ombre ! - l’agace bientôt. Il lui faut ce Début-ci ou cette Fin-là, mais ne plus traîner ce Milieu de l’un à l’autre. Elle se dirige donc vers la Fin. Mais se trouve au beau milieu de l’autre. Impossible de sortir. Elle essaie l’autre issue, le Début. Mais la perspective de tout recommencer la décourage : avec ce Milieu à ses trousses ! Elle regarde l’autre personne qui est auréolée de ce Milieu auquel elle-même ne souhaite qu’une chose : un début ou une fin.

Elle regarde l’autre plus précisément et une pensée l’effleure : c’est vrai que cette autre personne lui ressemble. Cette même pensée a effleuré l’autre aussi. Pensée vite chassée. La suivante pourrait être : les échecs, c’est un jeu de réussite, non ? Chacune de ces deux personnes songe qu’il faut un gagnant et un perdant. Mais dans cette situation, elles découvrent bien vite qu’en luttant, les deux milieux s’essoufflent dans l’inertie. Pire : le milieu devient l’obsession, l’entrée et la sortie disparaissent. On ne pense plus qu’à entrer ou à sortir, ce qui revient, dans ce cas, à ne plus penser qu’au milieu. Il est curieux que ces deux personnes au milieu n’aient pas réussi à se rapprocher. Ah, mais c’est qu’elles se croyaient diamétralement opposées. Il suffisait que l’une dise noir pour que l’autre dise blanc. Et chacune restait plantée là, au beau milieu de sa fuite vers Début ou Fin. L’une se faisait caméléon dans ce Milieu ; l’autre essayait d’en forcer les frontières par tous les moyens, vivant inconfortablement à l’extrême bord du Milieu. Mais il n’était pas davantage commode d’être caméléon : ce dernier n’est pas libre de ses couleurs. Et si les couleurs manquent à vos mots, vous risquez de lasser l’autre, de le pousser à bout. En d’autres termes, ces deux personnes se parlaient au beau milieu de leur entêtement. L’une voulait profiter de ce que l’autre s’était fait à ce point le caméléon de son Milieu qu’elle n’était plus visible nulle part. “Le champ est libre !”, se disait-elle - et se préparait à partir en rasant les murs du Milieu. L’autre entendait bien profiter de ce que l’une fût si souvent en marge de son Milieu, ce qui laissait un large passage au caméléon pouvant partir la tête haute et entouré de son Milieu en tenue de camouflage. Mais voilà : maintenant que ces deux personnes étaient libres, ni l’une ni l’autre ne bougeaient. Elles se trouvaient libres de s’observer. S’observaient librement. Milieu, début, fin n’étaient plus seuls, ils racontaient désormais une histoire. Mais ceci, c’est déjà la fin du conte. Le conte ne dit pas où on en est de l’histoire. Ainsi, si vous voulez rentrer dans celle-ci, prenez un début, une fin. Placez-vous entre les deux, c’est-à-dire là où la fin du conte vous trouve. Et avancez-vous dans cette histoire, là où le temps n’est plus haut perché dans les nuées, mais sur la route qu’il chauffe, mouille, glace. Ce chemin n’est ni fabuleusement simple ni fabuleusement compliqué : c’est une histoire, n’oubliez pas. Vous n’y avancerez pas comme sur des nuées ou en songeant à cette route que vous avez laissée, haut perchée dans les nuages.

Aucun commentaire: